«Comment devenue accompagnante sexuelle handicapés
Jill Nuss est la secrétaire de l’Appas, une association alsacienne qui milite en faveur de l’accompagnement sexuel des handicapés. À la Saint-Valentin, Jill Prévôt est devenue Jill Nuss. La trentenaire s’est mariée avec Marcel Nuss, un homme lourdement handicapé, de trente ans son aîné, président-fondateur de l’Appas, l’Association pour la promotion de l’accompagnement sexuel. Elle a aussi épousé son combat. Avec l’Appas, dont elle est la secrétaire, Jill Nuss a lancé, jeudi 12 mars, à Erstein (Bas-Rhin), près de Strasbourg, un stage de formation de quatre jours à l’assistance sexuelle aux handicapés. Une manière aussi de relancer un débat qui divise la société et la classe politique.
En France, l’assistance sexuelle aux handicapés se pratique dans la clandestinité. Légalement, les aidants sexuels se faisant rémunérer pour leur prestation relèvent de la prostitution, et leurs intermédiaires, du proxénétisme. L’Appas se bat pour que les handicapés puissent vivre leur sexualité grâce à des accompagnants sexuels, et que cette activité soit reconnue et encadrée, comme c’est le cas en Allemagne, en Suisse, aux Pays-Bas, en Autriche, en Italie et en Espagne. Jill Nuss a raconté à francetv info comment elle est devenue accompagnante sexuelle.
Du libertinage à la prostitution
“Escort-girl”, “prostituée”, “pute”… Appelez ce métier comme vous voulez, Jill Nuss l’assume. Elle l’a exercé pendant environ un an. À cette époque, elle vivait en Rhône-Alpes. Elle avait des piercings et les cheveux bleus. La prostitution, la jeune femme s’y est mise par plaisir, assure-t-elle. «J’étais rentrée dans le monde du libertinage, seule. Rencontrer des inconnu(e)s, ça m’a vraiment beaucoup plu.» Alors, elle a fait sienne la maxime de Confucius : “Choisis un métier qui te plaît, et tu n’auras pas à travailler un seul jour de ta vie.» Elle a d’abord exercé dans un bar à hôtesses. Mais le cadre ne lui convenait pas. Elle a démissionné. Et c’est ainsi que Jill Nuss est devenue “travailleuse du sexe” indépendante. “J’ai monté mon site internet, pris un deuxième téléphone, et voilà, je me suis lancée”, résume-t-elle.
“Une valide dans un monde de valides”
Et il y a eu cette “rencontre” décisive. “Un jour, un monsieur en situation de handicap m’a appelée.” Plus que le handicap, c’est la distance qui la dérangeait. Il habitait à une heure de chez elle. Elle s’y est rendue malgré tout. “Je ne suis pas restée une heure, comme convenu. Je suis restée toute l’après-midi. Je n’ai pas demandé un centime de plus. J’ai demandé à comprendre son handicap.” L’homme, tétraplégique, est devenu un client régulier. À son contact, Jill Nuss a pris conscience de la douleur des personnes que le handicap prive de sexualité. “J’étais une valide dans un monde de valides. Jusque-là, je n’avais jamais côtoyé de personnes handicapées”, explique-t-elle. “J’avais plein de préjugés. Je pensais que parce qu’il était tétraplégique, il ne pouvait rien ressentir. En fait, il n’avait pas de sensations dans les jambes, mais un peu au-dessus du haut des cuisses. Et un peu plus haut aussi. Ça ne marchait pas toujours. On a fait avec. On a fait sans d’autres fois.” “Il pouvait éprouver du plaisir. Et en donner surtout. Comme il avait eu une vie de valide avant son accident, cette redécouverte-là était la plus importante pour lui”, raconte-t-elle d’une voix pudique et chaleureuse.
Plus qu’un rapport sexuel, de la tendresse et des câlins
Jill Nuss a reçu d’autres demandes similaires. Sur son site d’escort-girl, un encart précisait qu’elle acceptait de rencontrer tout le monde. Des “messieurs”, c’est avec cette formule respectueuse qu’elle désigne ses clients handicapés. Elle en a vu une dizaine en un an et demi. Pour eux, la prostituée est devenue accompagnante sexuelle, ajustant ses tarifs à leurs faibles moyens financiers, acceptant de se déplacer dans toute la France. Elle ne s’est jamais apitoyée sur leur sort. Ses clients handicapés ne cherchent pas à atteindre l’orgasme ou à passer en revue l’éventail des pratiques des films pornos. “Ils veulent être touchés sans gants en latex, comme ceux utilisés pour leur toilette, être caressés, pouvoir toucher le corps d’une femme.” Ses mains s’animent.
De discrets tatouages ornent ses phalanges. Des étoiles et des cœurs aux contours à peine esquissés, assortis à ceux qu’elle porte juste sous les clavicules. J’ai souvent eu cette demande : une personne qui ne voulait pas de rapport sexuel, juste être nue contre le corps d’une femme. C’était aussi gentil que ça. Il y a aussi “les messieurs qui ne veulent pas se retrouver nu devant une femme nue” et qui ont au préalable besoin d’être rassurés sur leur propre corps et son fonctionnement. Ou ceux qui voulaient une accompagnante sexuelle plutôt qu’une escort-girl “parce que c’est moins cher” et ceux qui demandaient un tarif étudiant. “Le handicap, je n’y connaissais rien”, avoue-t-elle.
Jill Nuss s’est documentée. Elle s’est rapprochée du Sehp, l’association suisse Sexualité et handicaps pluriels, qui donne des formations. Un jour de 2012, Marcel Nuss l’a contactée. “Il a fait le lien entre moi, travailleuse du sexe, et un monsieur en demande à Paris.” “Ça aurait pu s’arrêter là.” Mais non. Ils ont sympathisé, échangé des mails, discuté par Skype. “C’était plus pratique pour lui.” “J’avais 27 ans, lui 57 ans, on était comme deux ados.”
L’amour avec un homme lourdement handicapé
En décembre, il lui a proposé de venir passer un week-end chez lui “en tout bien tout honneur”. “Je n’ai jamais dormi dans la chambre d’ami”, s’amuse-t-elle. Je lui ai demandé si je pouvais dormir avec lui, il n’a pas refusé. Ils ont passé la nuit l’un contre l’autre. “Jamais le premier soir”, plaisante-t-elle. Un mois plus tard, elle déménageait en Alsace. “J’ai fait 600 km par amour.” La différence d’âge, le handicap : son choix de vie n’a pas toujours été compris. Elle est souvent confrontée aux mêmes réactions : “Tu as une vie, je ne sais pas comment tu fais. Je ne pourrais pas.” “Je ne leur demande pas de pouvoir, juste d’accepter”, rétorque-t-elle sans animosité. À cause de cela, elle a pris ses distances avec une très bonne amie. Au début, ses parents ne voulaient même pas voir de photos de Marcel. Aujourd’hui, ils l’acceptent. “Je vais très bien. J’ai choisi ma vie”, dit-elle, rayonnante. Elle veut faire taire les mauvaises langues : elle n’a jamais été l’accompagnante sexuelle de Marcel. “Avec moi, Marcel n’est pas dans un travail de construction ou de reconstruction.”
On a une vie intime comme tous les couples du monde.
Aujourd’hui, Jill Nuss ne porte plus ses piercings et ses cheveux ne sont plus bleus. “Je ne me voyais pas comme ça pour mon mariage. Je l’aurais peut-être regretté toute ma vie.” Elle a éprouvé le désir d’arrêter l’accompagnement sexuel lorsqu’elle s’est mise en couple avec Marcel. Etre avec un homme tout en se prostituant, sa morale le réprouvait. Mais cela lui manquait. “La dimension humaniste surtout”, précise-t-elle. Alors, elle a repris “un peu”, avant d’arrêter pour de bon. “Je me suis rendu compte que ce n’était pas compatible.” “On ne peut pas faire ça, sans le vouloir à 100%, sans être totalement dans le don et l’accueil de ce que l’autre a à donner.”
«Comment devenue accompagnante sexuelle handicapés
Source: francetv info
Source: Par le Reporter