La prostitution a un nouveau visage à Bamako, la capitale malienne. Des adolescentes de 13 à 17 ans, qualifiées de « crudités », occupent plusieurs artères de Bamako, une fois la nuit tombée. Omy, Alima, Rose, Balkissa…toutes des racoleuses mineures, se « vendent et s’achètent» à vil prix…
Il est 18h 53mn, le samedi sur l’avenue Modibo KEITA, la voie bordant la direction du PMU mali. Le soleil couchant fait place à la lumière de quelques lampadaires. En face du ministère, vendeurs de fruits, mécaniciens et tabliers animent la rue.
En ce début de soirée, Rose tient compagnie au tablier Moussa, en attendant l’ouverture de la « chasse aux hommes » dans la pénombre. Cigarette en main, la jeune fille, habillée d’un collant noir et d’un haut bleu, s’éclipse à l’arrivée d’un taxi.
A bord de la « carcasse», Omy, une adolescente. Sac d’écolier au dos, elle noue une mini jupe, accompagnée d’un body blanc. Les deux filles, visiblement très jeunes, se connaissent bien. Elles échangent les civilités, se partagent le mégot de tabac et font les derniers « réglages » : coup de peigne par-ci, rouge à lèvres par-là, un coup d’œil dans le miroir. Ça y est ! Le pagne est rangé dans le sac et confié au tablier.
La tenue de Omy laisse ses parties intimes presque visibles. A 19h20, elles entament leur « défilé de mode ».
Une fois la nuit tombée, Omy, 16 ans, a rendez-vous avec Mx, selon les dires de Moussa, auprès de qui nous nous faisons une place. Nous engageons une conversation avec le jeune d’une trentaine d’années sur l’« activité » des mineures.
Timide au début, Moussa se confie peu à peu, surtout, lorsque nos échanges virent en langue peulh. Il nous demande un peu de patience, car « le bal s’ouvre à 20h ici ».
Très bien informé sur ce « commerce », le tablier nous renseigne qu’une dizaine de filles dont l’âge est compris entre 12 et 17 ans font la pluie et le beau temps sur l’avenue de Modibo Keita chaque nuit, avec un point d’honneur les week-ends. « Elles viennent de titibougou Niamakoro de l’hippodrome…La plupart de ces petites filles sont des malienne», précise-t-il?
19h 55mn. Un motocycliste dépose Alima. Grande de taille et filiforme, elle est habillée d’une courte robe de soirée. Petit sac à main, la fille de 16 ans au déhanchement sensuel, traverse la voie et se fait une place sous un lampadaire.
A 20h05mn, un taxi, en provenance du rond-point se range à une dizaine de mètres de notre interlocuteur. Rose, coiffée de perruque, est la première à descendre du véhicule. Elle est suivie de Balkissa, tête coiffée à ras, géante. Les deux confient également leurs sacs à Moussa et rejoignent Alima.
Une quinzaine de minutes à peine (20h20), Omy monte derrière un motocycliste après un bref marchandage. Selon le tablier, plusieurs hommes marquent des arrêts et discutent du prix de la « chose » avec Alima. Finalement, elle embarque à bord d’une Mercedes.
Plus tard, un client s’approche. Il lui demande à combien pour le suivre. Elle répond : « Je fais à 7 000 F CFA, lui dit-elle. « Ok, mais revois ton prix à la baisse », rétorquons-nous. « 6 000 F CFA. Mais toi, tu as combien ? »,. Avec lui, le dialogue est houleux : « 7 000 F CFA, 6 000 F CFA, on part », ajoute-t-elle. Le jeune homme tient mordicus sur sa proposition. La fille de 16 ans lui propose la somme de 5 000 F CFA, puis de 4 000 F CFA. Le « marchand » tente de démarrer sa moto. Elle s’y accroche : « Ok, 3 000 F CFA, on peut aller ». Voilà, elle a sa première « prise » de la nuit, à 21h10.
Quelques instants plus tard, Omy et Alima sont de retour. Cette dernière n’a pas le temps de se reposer. Aussitôt descendue de la voiture qu’elle grimpe sur une moto. Nous décidons d’accoster rosa. Mais, un client plus rapide fait son apparition. Bref entretien, elle prend la même voie avec ce nouveau motocycliste.
Pendant tout ce temps, Balkissa trotte sans qu’aucun passant ne lui pipe mot. L’adolescente, dans un français approximatif indique qu’habituellement, son « prix » est de 5 000 F CFA. Mais, pour ce week-end, elle est apte à « satisfaire un homme à demi-tarif », c’est-à-dire 2 500 F CFA. Elle confie d’ailleurs, ne pas connaître la source de sa « malchance » du jour.
A chaque passage d’engins, Balkissa nous tourne le dos, et se plaint par moments de notre présence. « Tu gâtes mon marché. Si tu veux me parler, reviens après ou appelle-moi demain dans la journée », lâche-t-elle en s’éloignant. 21h40. Ainsi je me suis rapproché a l’une d’elle pour avoir plus d’info.
Pourquoi exercez-vous ce « métier » à cet âge? Cette question alourdit l’atmosphère des échanges avec les fillettes. Très réservée, chacune des mineures a un motif.
Vanessa, elle, est admise en classe de 8ème année. Connaissant les réalités financières de ses parents, l’adolescente de 16 ans cherche à décrocher un emploi pendant les vacances, avec pour objectif de s’acquitter de sa scolarité en octobre. Une amie de la famille lui propose un poste d’aide ménagère (bonne) dans son restaurant, selon ses propos. « C’est elle qui m’a dit de venir ici, en attendant qu’on ouvre le restaurant. Chaque jour, elle me demande de lui envoyer 5 000 F CFA pour qu’elle garde pour moi », explique Vanessa, les yeux noyés de larmes. Et d’ajouter : « Si je n’amène rien, elle me bat et je dors dehors. Je n’ai pas le choix seulement. Quand je viens, dès que j’ai l’argent qu’elle exige, je rentre pour dormir ».
Déscolarisée en 2013 pour des raisons de famille, Rose, 13 ans, fréquente les trottoirs depuis près de quatre semaines, notamment les week-ends, et ce, sur les conseils avisés de Alima, 16 ans. « Je le fais pour mes petits besoins. Sinon, papa et maman me donnent l’argent. Mais, ce n’est pas suffisant. J’ai un petit ami étudiant. Il n’a pas assez de moyens. Souvent, je lui viens en aide », soutient Rose. Elle révèle se limiter à 3 ou 4 hommes la nuitée, avec un minimum de 10 000 F CFA. Ce soir, la fillette a empoché 12 000 F CFA en l’espace de 3 heures (22h30-1h30), avec 3 « conjoints » différents.
Quant à Omy, elle dit être arrivée à Bamako après le décès de ses parents en 2013. La native de Sikasso est accueillie chez une tante. Une année plus tard, le mariage de la dame bat de l’aile. Omy rejoint sa grande mère, à koutiala. Après son succès au CEP, elle est inscrite en classe de 7ème, dans une école privée. Mais, les choses tournent court elle est retournée a Bamako. Depuis 2014, elle travaille « officiellement » dans un restaurant dans la journée. La nuit tombée, elle rôde sur l’avenue Modibo keita. L’adolescente s’est aujourd’hui transformée en une travailleuse professionnelle de sexe.
Ariane qui propose aussi ses services à proximité du marché Dibida, a vécu une autre réalité. Sur les motifs de sa présence en ces lieux, elle est réticente : « Rien ne s’est passé. (…) Je ne peux rien dire… c’est trop compliqué », insinue-t-elle. La voix entrecoupée de sanglots, elle confie :
« Je vivais chez un oncle. On dormait dans la même chambre avec mon cousin. On a couché ensemble. Je suis tombée enceinte de lui. Quand, j’ai dit que c’était mon cousin, personne ne m’a cru. On m’a mise dehors. Je suis allée rester avec mes copines qui m’ont aidée à avorter. C’est avec elles que je viens ici ».
Pourquoi n’es-tu pas retournée chez tes parents biologiques ? Ariane répond qu’elle a perdu son papa et sa maman ; elle « se débrouille » pour joindre les deux bouts.
Vêtue d’un haut rouge et d’une mini-jupe noire, l’adolescente de 14 ans ne se vend pas cher. Même à 1 000 F CFA, Ariane est disposée à satisfaire son client. « A 3000 F CFA, je te fais tout ce que tu veux. Mais, c’est avec préservatif », prévient-telle. A 5 000 F CFA, elle se rend à domicile et peut y passer la journée, c’est selon les désirs du sieur.
Des filles interrogées, aucune ne consulte le médecin pour un examen de santé. Comme méthodes contraceptives, elles privilégient le préservatif, la pilule et les implants.
Pour Roxane, 13 ans, il n’y a aucun danger surtout qu’elle se protège et ne « sert » que 3 à 4 hommes par nuit. Chez Enza aussi, pas de feu dans la demeure, car elle compte abandonner le trottoir.
Vanessa, Roxane, Ariane …ont formulé les mêmes vœux. Toutes ces filles veulent arrêter.
Les « minettes » ne sont pas les seules bénéficiaires des fruits des trottoirs. C’est le constat, au regard de l’organisation du milieu. Le tablier, chargé de garder les sacs des prostituées, perçoit 1 000 F CFA par sacoche à la fin de chaque soirée. Les filles ont également une « sécurité rapprochée ». Au cours de nos entretiens, leurs « gardes du corps » ont plusieurs fois fait irruption pour mieux comprendre la situation. Ils ont été rassurés par nos interlocutrices. L’une d’elle nous a confié débourser 1 000 F CFA par jour pour sa sécurité.
Les mineures ont aussi des « propriétaires », à qui elles rendent compte et leur versent le gain journalier. En réalité, il s’agit de proxénètes qui encouragent les filles à se prostituer et tirent profit de leur activité.
Selon une source policière, il est « difficile d’appliquer » ces dispositions légales, dans la mesure où la constitution d’un dossier de prostitution d’enfant demande des preuves « solides ». Pourtant, les filles collaborent « difficilement » avec les flics. La source indique également, qu’elles sont sous l’emprise de réseaux et elles dénoncent « très rarement » ces fautifs.
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Contribution de Fatoumata DOUMBIA
Source: Delta News