« Dotée d’une rage de pittbull
, Alice a décidé de mettre un point final à un épisode de sa vie qu’elle assimile aujourd’hui à une entreprise de démolition. Elle témoigne, haut et fort, pour dénoncer le système. Et épingle tous les manques qui l’ont si longtemps abandonnée à son sort. Cinglant.
J’ai connu trois bars en cinq ans. On a fermé les maisons closes mais on les a rouvertes autrement et on a trouvé un joli mot, « hôtesses » au lieu de « prostituées ».
Mon père avait une véritable emprise sur moi. Il m’avait mis dans la tête une image dévalorisante des femmes : toutes des putes
. Il frappait ma mère, il l’humiliait. Dès qu’il avait bu, moi aussi il me traitait de pute et me disait que je finirais femme de ménage comme elle. J’ai grandi dans ce climat. En fait, subtilement, c’est lui qui a créé Jennifer, la prostituée que je suis devenue. Par ses stratagèmes, il a réussi à faire vivre l’image qu’il avait de la femme, à travers moi.
A quatorze ans, j’ai été placée en foyer. J’étais en échec scolaire. Je m’interposais entre mon père et ma mère quand il la battait, je pleurais beaucoup à l’école, il y avait donc eu des signalements. Mais à dix-neuf ans, il a fallu que je quitte le foyer ; j’étais insolente avec les éducs, j’avais tout mis en échec. Quand je suis retournée chez mes parents, mon père m’a fait comprendre qu’il fallait que je ramène de l’argent. On habitait à la campagne et je n’avais ni permis de conduire ni diplôme. Mon père me ramenait les journaux gratuits avec les petites annonces et j’en ai trouvé une qui demandait une hôtesse de bar. Je ne savais pas ce que c’était. J’en ai parlé à mon père qui m’a dit que c’était une bonne idée ! Non seulement il m’a encouragée mais il m’a même accompagnée physiquement. Il m’a expliqué qu’avant ces endroits s’appelaient des maisons closes et qu’il en avait fréquenté.
Quelque part, mon père m’a vendue à tout le monde. En même temps, il est allé voir une assistante sociale pour lui dire que sa fille se mettait en danger : était-ce pour se déculpabiliser ou parce que ça ne lui rapportait pas assez ? Il me réclamait de l’argent sur ce que je gagnais et en plus, il s’arrangeait pour me dire que la voiture était en panne et c’est moi qui payais. Il se servait de mon corps pour combler ses difficultés financières.
A l’époque, j’ai même ramené des clients à la maison, qui m’appelaient Jennifer. Personne ne disait rien. De toute façon, à la maison, il ne fallait jamais rien dire. Jennifer, Alice, qui était vraiment moi ? Dans ma tête, tout était embrouillé (…)
Sanslimites