Le viol est une question très sensible au Mali. Les victimes brisent difficilement l’omerta par peur de stigmatisation.
Début février, une vidéo devenue virale a tourné en boucle sur les réseaux sociaux au Mali. On y voit quatre garçons violer, à tour de rôle, une fillette de quatorze ans. C’est l’émoi et l’indignation à travers tout le pays. L’affaire prend de l’ampleur et les Associations de Défense des Droits de l’Homme exigent du gouvernement des réponses. Grâce à leur mobilisation, la victime a été identifiée et les présumés coupables arrêtés.
Loin d’être un cas isolé…
L’Association Malienne de Défense des Droits de l’Homme (AMDH) s’est constituée partie civile dans l’affaire. Son président, Me Moctar Mariko, estime que l’acte est loin d’être un cas isolé. Le viol, enfonce-t-il, se passe à longueur de journée au Mali. Le service gynécologique du Centre de Référence de la Commune VI du district de Bamako enregistre en moyenne un à deux cas par jour. La police parle de deux à trois cas par semaine.
Selon Me Mariko, le phénomène tire ses origines dans l’environnement social et culturel du pays. Il est entretenu ensuite par les pesanteurs sociales. «Nous avons tendance à blâmer les victimes», se désole Diakité Kadidia Fofana, présidente des Amazones, une association de lutte contre les violences faites aux femmes. En ce même sens, une source policière pointe du doigt «la complicité de la population».
Pour le sociologue Aly Tounkara, chercheur au Collège Sahélien de Sécurité, le viol s’explique par la démission des familles, autrefois facteur de régulation sociale, et l’incapacité de l’Etat à réprimer les coupables.
La loi du silence
L’affaire du producteur américain Harvey Weinstein n’a pas encore permis de libérer la parole au Mali. Car très peu de victimes acceptent de témoigner. Les quelques rares témoignages se font sous la contrainte des proches et généralement quelques jours après l’acte. «Certaines vont souvent jusqu’à nier les faits», se navre une source policière.
«Les victimes ne brisent pas le silence pour ne pas déshonorer leur famille», déplore Me Moctar Mariko. «Pis,ce sont les parents qui les poussent souvent à se taire par peur de la discrimination et de la stigmatisation», peste Diarakardia Traoré, assistant au coordinateur à l’accès à la justice de la clinique Démè So, une organisation de Défense de Droits Humains.
Pour inverser la tendance, les militants des Droits de l’Homme plaident pour la dénonciation. Cela peut aider la police dans son travail, indique l’inspecteur Souleymane Niapougui, responsable à la Brigade des mœurs. Elle permettra également une prise en charge médicale rapide.
Le dégoût des hommes
La peur des rapports sexuels avec les hommes, voilà ce qui ressort de l’entretien avec les victimes de viol. Toutes affirment avoir «le dégoût des hommes». Traumatisée, Penda (un nom d’emprunt) soutient avoir fait quatre mois sans relation sexuelle avec son compagnon. «La scène me revient à l’esprit dès que je suis en contact avec un homme», se lamente-t-elle. «J’ai mis fin à toute relation amoureuse» confesse hors micro une autre victime, avec beaucoup de mal à contenir sa rage contre les violeurs.
Des mois après les faits, les deux dames déclarent avoir le sommeil troublé. C’est un traumatisme, explique le Dr. Ousmane Din, médecin psycho-traumatologue, qui assimile le viol à une violence pire qu’un crash d’avion.
Cinq à vingt cinq ans de prison
Les associations de défense des Droits de l’Homme dénoncent depuis des années l’impunité dans les affaires de viol sans pour autant, arriver à faire bouger les lignes. Pourtant, l’article 226 de la Loi n°01-079 du 20 août 2001 portant Code Pénal puni sévèrement le viol. La sanction prévue est de cinq à vingt ans de prison. « Le problème n’est pas la Loi mais son application » se lamente la présidente des Amazones.
Abdrahamane Sissoko
Source : Le Wagadu