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Terrorisme au Sahel: “Le Mali est un vrai laboratoire à ciel ouvert pour le Burkina”(expert Mahamadou Savadogo)

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Mahamadou Savadogo est un spécialiste de l’extrémisme violent et de la radicalisation au Sahel.Il est chercheur au Centre de recherche action pour le développement et la démocratie (CRADD) puis à l’Institut of security studies. Libreinfo.net l’a rencontré pour un décryptage sur la situation du terrorisme au Burkina Faso. Quelles sont les raisons des violences terroristes? Quelles solutions l’Etat doit-il apporter et quelles similitudes entre les attaques au Mali et au Burkina? D’ores et déjà, il fait une analyse comparée entre ce qui se passe au nord et à l’est du Burkina.

Libreinfo.net (Li):Vous êtes chercheur sur l’extrémisme violent, qui sont ceux qui mettent en mal la sécurité du Burkina ?

Mahamadou Savadogo (M.S.): Les groupes extrémistes au Burkina Faso sont composés de différents groupes et répartis selon les régions. Mais, nous pouvons les classer en deux grands groupes. En fonction de leurs influence géographique, nous avons donc :
• Au nord et au Sahel, le groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) qui est le chef de file et qui collabore étroitement avec Ansarul Islam (ce qui reste de ce groupe après le décès de Malam Dicko) et des petits groupuscules de trafiquants et délinquants qui écumaient et contrôlaient l’économie en crise dans le sahel bien avant l’arrivée du GSIM. Evoluant sur le même terrain, le GSIM et ces petits groupes qui se sont par la suite radicalisés ont vu l’intérêt de collaborer. Ainsi, Les petits groupes peuvent continuer tranquillement leurs trafiques et activités criminelles sous la protection du GSIM et surtout avec son appui logistique et technique. En contrepartie, ces groupuscules déstabilisent la région par des attaques, des enlèvements. Bien sûr pour les attaques complexes comme les positions des FDS, ils bénéficient de l’appui logistique et technique du GSIM.

• A l’Est, nous avons l’Etat Islamique au Grand Sahara (EIGS) qui est bien implanté dans le septentrion de la région de l’Est à cheval entre le Niger et le Burkina. Il contrôle la presque totalité des sites d’or de la localité. Ce groupe qui est aussi le chef de file des groupes terroristes dans cette région a comme alliés, des groupes locaux qui se sont rrépartis la région de l’Est en fonction des objectifs ou intérêts qu’ils poursuivent. L’EIGS apporte une assistance technique et logistique a tous ces groupes et essaye de coordonner leurs actions.

Il est important de noter que de temps en temps, il y a une coordination entre les groupes du Sahel et ceux de l’Est. Nous avons quelques fois observé une simultanéité des attaques à l’Est et au Sahel surtout lorsque ça concerne les positions des FDS.

Li: A votre avis quelles sont les raisons de ces attaques ?

(M.S.): Je parlerais plutôt de causes ou de facteurs qui ont entrainé le basculement des populations, et facilité l’implantation des groupes terroristes dans ces régions.

Li: Alors quelles sont ces causes ?

(M.S.): Le Burkina par sa position géographique a toujours été une plaque tournante et un pays de transit pour assurer l’alimentation de l’économie grise au Sahara.

Les groupes terroristes, ont profité du changement de régime et l’instabilité socio-politique qui ont affaibli le Burkina ces dernières années pour ouvrir et contrôler le boulevard de la contre bande et du trafic qui va de l’Est au sahel.

Ils profitent également de ce couloir pour écouler l’or extrait des sites artisanales vers les pays côtiers comme le Ghana, le Togo et le Benin.
A cela, il faut ajouter certaines dynamiques comme la situation d’exclusion et de marginalisation notables des peulhs qui sont récupérés par les groupes terroristes, les foyers insurrectionnels des populations de l’Est a qui les groupes terroristes ont offert un kit complet : la dignité, la restitution des terres spoliées par l’Etat, l’exploitation libre des richesses naturelles et minéralières de la région, et enfin la levée des interdictions de pêche, de chasse dans les réserves classées.

Li: Peut-on voir l’insécurité à l’Est et au Sahel sous le même prisme ?

(M.S.): S’il est vrai qu’il y a des facteurs communs aux deux zones, chaque zone a néanmoins des facteurs spécifiques qui lui sont propres.

Pour le nord et le Sahel, nous avons les frustrations d’ordre ethnique et économique ; l’absence de l’Etat ; la mal gouvernance et la proximité avec le Mali voisin.

Pour l’Est, nous avons la position stratégique de l’Est qui est un couloir et une plaque tournante de toutes sortes de trafiques surtout ceux en direction du Sahara (cigarettes, or, drogue, ivoire, arme et minutions etc.) ; l’absence de l’Etat au service de la population (qui engendre des frustrations, car il y a un manque d’investissements, d’infrastructures sanitaires et sécuritaires) ; la négation de l’Etat qui engendre son rejet. (En effet, quand l’Etat manifeste sa présence à l’Est, c’est pour spolier les terres des paysans, brader les concessions de chasse et les mines d’or à des gens qui ne sont pas de la localité ; c’est pour étendre les aires protégées, c’est pour réduire des voies de la transhumance en gros, la mal gouvernance : corruption, injustice, etc.)

Li: Le mode opératoire des groupes terroristes a évolué ces derniers temps. Des attaques meurtrières, les explosions des mines aux enlèvements, puis aux cadavres piégés et parfois les violences communautaires. Comment expliquez-vous cette nouvelle forme de violence ?

(M.S.): Les groupes terroristes adaptent leurs modes opératoires, en fonction de l’évolution de la situation et en fonction des localités. Effectivement, avant 2019, leurs cibles étaient essentiellement les FDS, les symboles de l’Etat et les leaders coutumiers et religieux pour la zone du Sahel et du Nord.

Pour l’Est, ils n’ont pas ciblé les leaders coutumiers ni religieux. Leur stratégie a mutée dans cette région. Ils se sont infiltrés dans la communauté locale pour renforcer leur influence au sein de celle-ci.
Pour ce qui est de la pose des engins explosifs improvisés(mines), cela prouve qu’ils ont acquis une certaine maîtrise de l’art du combat et explique pourquoi ils sont rapidement montés en puissance dans la région de l’Est.

Quant aux enlèvements, cela pourrait être une stratégie, celle de se servir des otages comme boucliers humains au cas où les FDS envisageraient des frappes aériennes sur leurs bases.

Pour les violences intercommunautaires à mon avis, ils ne font juste que profiter d’une situation liée à la faiblesse et à l’absence d’un Etat qui a perdu le monopole de la violence physique légitime au profit des groupes d’autodéfenses qui se sont constitués sur des bases ethniques (kolweogos et Dozo).

Li: Pensez-vous que l’état d’urgence et les opérations spéciales comme otapuanu puissent être la solution contre le terrorisme ?

(M.S.): Cette mesure exceptionnelle et de telles opérations à elles seules ne suffiront pas pour venir à bout de l’hydre terroriste.

Il faudra mettre l’accent sur le nexus sécurité – développement car, pour une guerre asymétrique, la population est la pièce maîtresse et est le levier sur lequel l’Etat devrait actionner et s’appuyer pour venir à bout du terrorisme.

Li: Qu’est-ce que l’Etat doit faire face à la dégradation de la situation sécuritaire ?

(M.S.): Face à la dégradation de la situation sécuritaire, l’Etat doit d’abord faire un diagnostic pour limiter la poussée expansionniste du terrorisme et faire en sorte que les zones qui ne sont pas encore touchées ne basculent pas dans la violence extrémiste.

Et seulement après, il pourra se lancer dans la reconquête des localités qui ont complètement basculées parce que les stratégies doivent différer d’une région à une autre étant donné que ce ne sont pas les même dynamiques.

Li: Le rapports des droits humains sont très controversés, peut-on concilier la lutte contre le terrorisme et respect des droits de l’homme ?

(M.S.): Comme je l’ai dit plus haut, aucun combat ne pourra être remporté sans la participation et la collaboration de la population.

Par conséquent, le respect des droits de l’homme est primordial et déterminant pour la victoire. Le simple fait de respecter les droits de l’homme permettra aux FDF d’engranger de grandes et précieuses victoires car, le non-respect des droits de l’homme va plutôt contribuer à faire basculer le reste de la population qui était encore résilié à la violence extrémiste.

Li: Chaque fois, on a l’impression que les causes qui se produisent au Mali se répètent au Burkina et vice versa. Comment vous expliquez ces faits ?

(M.S.): Cela s’explique par le fait que les mêmes communautés sont représentées et ont des ramifications dans les deux Etats.

Par leurs attitudes, nous voyons clairement que ces communautés ne tiennent pas compte des frontières établies par le colon. Elles ont leurs propres délimitations spatiales. Ce qui fait qu’une crise dans l’un ou l’autre Etat a forcément des répercutions sur le pays voisin.

Voilà pourquoi, on devait s’attendre depuis 2011, à ce qu’il y ait une transposition de la crise malienne au Burkina.

J’aime le dire, le Mali est un vrai laboratoire et à ciel ouvert pour le Burkina Faso car, ce sont les mêmes dynamiques qui ont favorisées la monté du terrorisme au Mali qui se retrouvent ici au Burkina. Il suffit juste d’observer ce qui se passe au Mali pour anticiper sur ce qui va se passer au Burkina Faso.

Propos recceuillis par 
Albert Nagreogo et
Siébou Kansié
Libreinfo.net

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