Tendus depuis le premier jour, les rapports entre les présidents brésilien Jair Bolsonaro et français Emmanuel Macron sont devenus glacials après les échanges des derniers jours. Retour sur la relation de deux hommes opposés à tous les niveaux.
Alors que le courant n’est jamais passé entre les chefs d’État brésilien et français, qui semblent s’opposer sur tous les fronts, leur relation s’est brutalement dégradée dernièrement. Le président français Emmanuel Macron a notamment critiqué la gestion des incendies en Amazonie de son homologue brésilien Jair Bolsonaro, enclenchant un vif échange d’insultes et de mots fort peu diplomatiques de ce dernier.
Dès l’élection à la tête de l’État brésilien de l’ancien capitaine de l’armée, les deux présidents ne se sont jamais appréciés. Une fois élu en octobre 2018, Jair Bolsonaro a été félicité par Emmanuel Macron, mais celui-ci a exprimé son désir de continuer la “coopération” avec le Brésil, en précisant “dans le respect de la démocratie”, raconte à l’AFP Frédéric Louault, coordinateur du Centre d’études des Amériques à l’Université libre de Bruxelles.
La phrase, qui n’a pas suscité de réaction officielle de Brasilia, a pourtant été “très mal perçue” : elle mettait en doute “l’attachement [de Jair Bolsonaro] à la démocratie”, selon le chercheur.
“Opposés à tous les niveaux”
“Les deux hommes sont opposés dans tous les domaines”, analyse pour France 24 Gaspard Estrada, directeur de l’Observatoire politique de l’Amérique latine et des Caraïbes de Sciences Po.
“Leur philosophie politique, leurs priorités, leur rapport au multilatéralisme, aux minorités, aux réfugiés, à l’égalité homme-femme, à l’environnement“, énumère le chercheur. “Emmanuel Macron représente l’idéologie globaliste que le bolsonarisme veut proscrire à tout prix”.
Pourtant, avant son élection, une partie modérée de l’électorat de Jair Bolsonaro adoubait le président français. Il était apparu comme “l’homme providentiel” et l’outsider attaché au libéralisme économique.
“Il y a une partie de la droite et de la classe moyenne brésilienne qui rêvait d’un libéralisme à la façon d’Emmanuel Macron”, explique à France 24 Jean Hebrard, co-directeur du Centre de recherches sur le Brésil colonial et contemporain (CRBC) de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). “Ils ne savaient pas pour qui voter et ont trouvé cet attachement au libéralisme chez Jair Bolsonaro. Mais ils ne rallient pas sa politique de conflit”, poursuit le spécialiste, contributeur à la revue Brésil(s).
Cette “politique du conflit” va commencer très vite. En décembre 2018, l’équipe du président-élu brésilien s’enflammait déjà contre l’Élysée. En pleine crise des Gilets jaunes, le conseiller diplomatique Felipe G. Martins disait qu’Emmanuel Macron devrait “passer un accord avec son propre peuple avant de critiquer les décisions du gouvernement brésilien”, alors même que Brasilia venait d’annoncer sa volonté de quitter l’accord de Paris sur le climat.
L'”urgence capillaire” de Jair Bolsonaro
Une fois Jair Bolsonaro investi, “leur animosité personnelle” n’a fait qu’empirer, avance Gaspard Estrada.
En juillet dernier, le président brésilien a annulé à la dernière minute une rencontre avec le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian, en visite officielle à Brasilia. Citant “des problèmes d’agenda”, le chef d’État brésilien s’est filmé en direct sur les réseaux sociaux chez le coiffeur… à l’heure exacte du rendez-vous avec le chef de la diplomatie française.
“Pourtant, cette visite était censée améliorer la relation avec le pays, qui n’avait reçu aucun responsable français depuis 2016”, explique Gaspard Estrad. “Chacun connaît les contraintes qui s’attachent aux agendas chargés des chefs d’État. Manifestement, il y aurait eu une urgence capillaire. C’est une préoccupation qui m’est étrangère”, avait alors ironisé Jean-Yves Le Drian, interrogé sur ce rendez-vous manqué par le Journal du Dimanche.
Le 22 août, deux jours avant le début du sommet du G7 organisé à Biarritz, et alors que la forêt amazonienne était en proie à d’intenses feux depuis trois semaines, Emmanuel Macron a qualifié les incendies de “crise internationale”. D’autres responsables occidentaux, comme l’Allemande Angela Merkel et le Canadien Justin Trudeau, lui emboitent le pas et augmentent la pression sur Brasilia.
“Le président Bolsonaro a menti”
Le lendemain, Paris insiste. “Compte tenu de l’attitude du Brésil ces dernières semaines” face aux incendies, Paris “ne peut que constater que le président Bolsonaro lui a menti lors du sommet [du G20, NDLR] d’Osaka”, en juin. Lors d’une réunion bilatérale “qui s’est très mal passée”, expliquent des spécialistes, le président brésilien a assuré qu’il respecterait l’accord de Paris sur le climat, condition sine qua non pour que la France accepte l’accord commercial entre l’Union européenne et le Mercosur, bloc de libre-échange dont font partie le Brésil, l’Argentine, le Paraguay et l’Uruguay.
“Dans ces conditions, la France s’oppose à l’accord Mercosur en l’état”, poursuit la présidence française dans un communiqué.
Jair Bolsonaro, lui, déplore la volonté de l’Élysée d'”instrumentaliser” le sujet “pour des gains politiques personnels”. “La suggestion du président français de discuter des affaires amazoniennes au G7 sans la participation de la région évoque une mentalité colonialiste dépassée au XXIe siècle”, a également tweeté Jair Bolsonaro, un climato-sceptique assumé.
Attaque à Brigitte Macron
Mais ce sont les propos sur les réseaux sociaux de Jair Bolsonaro à l’égard de la Première dame française, Brigitte Macron, qui ont mis les feux aux poudres.
Dimanche 25 août, Jair Bolsonaro a en effet commenté le post d’un internaute brésilien qui se moquait du physique de la Première dame française, qui apparaissait sur une photo désavantageuse, la comparant à Michelle Bolsonaro, rayonnante le jour de l’investiture de son mari. “Vous comprenez maintenant pourquoi Macron persécute Bolsonaro ?”, lit-on à côté des photos des deux couples présidentiels. “C’est la jalousie […] de Macron, je parie”, écrit l’internaute à l’origine de la publication, Rodrigo Andreaça. “N’humilie pas le type – MDR [“mort de rire”]”, réagit le compte officiel de Jair Bolsonaro.
Il s’agit là de “propos extraordinairement irrespectueux à l’égard de mon épouse”, a estimé lundi 26 août le chef de l’État français. “Qu’est-ce que je peux vous dire ? C’est triste, c’est triste mais c’est triste d’abord pour lui et pour les Brésiliens”. Il ajoute, devant les caméras du monde entier, souhaiter que “le peuple brésilien ait très rapidement un président qui se comporte à la hauteur”.
Les “insultes” d’Emmanuel Macron
Depuis, le ministre brésilien de l’Éducation a qualifié Emmanuel Macron de “crétin” et l’un des fils du président brésilien a retweeté une vidéo traitant le président français de “con”.
Pourtant, mardi, c’est le président Bolsonaro qui demandait à son homologue de “retirer ses insultes”. Il “m’a traité de menteur et à deux reprises a dit que la souveraineté [brésilienne sur] l’Amazonie devait être relativisée”, a dit le président d’extrême-droite à des journalistes mercredi 28 août. “Nous pourrons nous parler quand il se sera rétracté après ce qu’il a dit contre ma personne.”
Emmanuel Macron a annoncé une aide de 20 millions d’euros pour aider les pays en proie à des incendies en Amazonie. Une aide toujours refusée par Jair Bolsonarao qui avait pourtant annoncé ne pas avoir les moyens d’y faire face.
“Stratégie kamikaze” de Jair Bolsonaro
Après un entretien mercredi 28 août avec son homologue chilien, Jair Bolsonaro a justifié son différend avec Emmanuel Macron pour des questions idéologiques : “il est de gauche”, a-t-il affirmé à la presse, selon le quotidien Folha de São Paulo. “On sait qu’il est de gauche à cause de son comportement”, a-t-il insisté.
“La stratégie belliqueuse de Jair Bolsonaro est kamikaze”, poursuit Gaspard Estrada. “La base de la politique du brésil avait toujours misé sur le multilatéralisme et désormais, il ne fait que chercher le conflit, sans avoir quoi que ce soit à gagner.”
“Le président brésilien veut occuper le terrain et parler à son électorat le plus extrémiste, à l’image de Donald Trump”, s’accorde Jean Hebrard. “Il a des sondages détestables et n’est pas soutenu par le Congrès, donc il doit détourner le regard du public sur des choses secondaires. Et pour l’extrême-droite brésilienne, tout ce qui ne suit pas sa pensée, c’est du socialisme bolchévique, dont l’Europe démocratique.”
Attaquant à “l’international, “Macron réussit son coup en France”
Pour ce chercheur, c’est aussi un pari gagné pour Emmanuel Macron, “qui a réussi à décrocher la France de l’accord avec le Mercosur”. “L’opinion publique en France commençait à être contre l’accord : les agriculteurs s’indignaient de la concurrence et les classes moyennes ont peur des conséquences environnementales. En jouant à l’international, Emmanuel Macron réussit son coup en France”, conclut-il.
“Je n’ai jamais vu un président du Brésil s’exprimer d’une telle manière”, s’étonne Gaspard Estrada. “Il y aura des conséquences lourdes”. Un avis partagé avec Rubens Ricupero, diplomate et ex-ministre brésilien des Finances : “Le Brésil vit la plus grave crise d’image depuis 50 ans”, avait-il dit au quotidien O Globo.
“Aucun pays ne veut avoir affaire à Brasilia, sauf les États-Unis et ce mollement. Cela va nuire au tourisme, donc à l’économie”, prévoit Jean Hebrard.
source:france24