Accueil FAITS DIVERS Délinquance: les frères Doumbia font trembler le “9-3”

Délinquance: les frères Doumbia font trembler le “9-3”

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La famille Doumbia appartient au gotha des clans enrichis dans le trafic de stups. OLIVIER LE DISCOT/L'UN & L'AUTRE

Six frères ont longtemps joué les premiers rôles dans le trafic de drogue au nord de Paris. Ils sont presque tous en prison aujourd’hui, mais la légende persiste.

Doumbia. Ce patronyme, David Le Bars, commissaire divisionnaire, le connaissait avant de prendre ses fonctions à Saint-Denis, en février 2014. “Qui n’a jamais entendu parler des frères Doumbia?” s’étonne le policier à la carrure de rugbyman, devenu permanent syndical depuis l’été. En Seine-Saint-Denis, vaste supermarché de la drogue aux portes nord de Paris, la famille D. porte un nom qui souvent se chuchote, entre crainte et respect. Elle appartient au gotha des clans enrichis dans le trafic de stups, sans afficher le fastueux train de vie de certains de ses concurrents.

Elle peut, elle, revendiquer une supériorité numérique: la fratrie compte six garçons. Kassoum, 46 ans, les jumeaux Ahmed et Mohamed, 40 ans, Adams, 37 ans, Kader, 33 ans, et le benjamin, Ismaïl, 31 ans, totalisent une trentaine de condamnations, près de quatre-vingts années de prison et des infractions multiples: trafic de stupéfiants, vol, recel, enlèvement et séquestration, escroquerie, agressions et menaces de mort, notamment.

Tous, à l’exception d’Ismaïl, rongent leur frein derrière les barreaux. Ceux qui les connaissent ou les côtoient refusent de parler d’eux. Si quelques-uns acceptent, c’est sous le couvert de l’anonymat. Car les Doumbia terrorisent leur monde. Surveillants pénitentiaires et policiers qui, parfois, préfèrent s’abstenir de porter plainte contre eux. Proches et comparses qui perdent la mémoire au cours de l’enquête ou se rétractent devant les juges.

La légende Doumbia naît dans la cité du Franc-Moisin

Dans la dernière procédure en date visant Kassoum, deux témoins et deux mis en examen ont “oublié” leurs premières déclarations le mettant en cause. “Tout ce que vous avez vu dans les films de gangsters, eh bien, avec les Doumbia, c’est possible!” souligne un ancien hiérarque de la PJ.

Cette violence nourrit la légende familiale qui plonge ses racines dans la cité du Franc-Moisin, à Saint-Denis. Là, les six garçons et leurs deux soeurs grandissent entre une mère malienne -“une sainte”, selon un avocat de la famille- et leur ancien militaire de père, un Ivoirien porté, dit-on, sur la bouteille, qui bat femme et enfants comme plâtre. Une nuit, il aurait même exigé de son épouse qu’elle creuse six tombes, une pour chacun de ses fils, comme elle l’a raconté à la cour d’assises qui jugeait trois d’entre eux, en décembre 2015.

“Gosses, ils ont vécu l’enfer”, pointe l’un de leurs défenseurs. A l’adolescence, Kassoum, alias Kass-Kass, aurait fini par jeter dehors son géniteur. Pour l’aîné de la fratrie, c’en est alors terminé de l’école et de la légalité. Il se lance dans le trafic de stupéfiants. “Il fallait trouver de l’argent pour aider ma mère”, plaide-t-il lors de son dernier procès.

Foot, boxe thaïe, MMA…

Les Doumbia, passionnés de sport, auraient pu se contenter de se faire un nom sur un terrain de foot ou sur un ring. Adams, unique footballeur de la famille et avant-centre surdoué, aurait été approché, à 13 ans, par l’AJ Auxerre, qui souhaitait le recruter. Aujourd’hui, il attend d’être jugé dans une spectaculaire affaire de cocaïne, au côté de l’un des pontes du trafic aux Antilles, Kevin Doure. Ses frères préfèrent la boxe thaïe, qu’ils ont découverte au gymnase de Saint-Denis. Ahmed, Kader et Ismaïl ont décroché le titre de champion de France, chacun dans sa catégorie.

Kader est allé jusqu’à Dubaï pour se mesurer aux spécialistes de MMA (arts martiaux mixtes). Pour Kassoum, ex-champion d’Europe et auxiliaire sportif en prison, les entraînements tiennent lieu de bouffées d’oxygène. Quand les aléas de la détention l’en privent, il souffre. “Ils adorent faire partager leur passion, raconte l’un de leurs formateurs. Ce sont des gars tranquilles pour qui les connaît, des gars comme tout le monde.”

Qui font pourtant beaucoup jaser. A Saint-Denis, lorsque Ahmed ne purge pas une peine de prison, il n’est jamais très loin. Contrairement à ses frères, il n’a pas tenté sa chance ailleurs. Ses “affaires”, le jumeau de Mohamed les fait dans le quartier de la gare, au milieu du va-et-vient des voyageurs.

"Je vais te démonter à coups de poing, quitte à retourner en prison", promet Ahmed Doumbia à un fonctionnaire de police.

“Je vais te démonter à coups de poing, quitte à retourner en prison”, promet Ahmed Doumbia à un fonctionnaire de police.

OLIVIER LE DISCOT/L’UN & L’AUTRE

En 2009, il en avait pris le contrôle. Le groupe “stups” du commissariat, spécialisé dans la lutte contre le trafic de drogue, le met alors sous surveillance et découvre qu’Ahmed a transformé sa pizzeria en lieu de vente et de consommation de crack, ce vénéneux dérivé de la cocaïne. Il est condamné à six ans d’emprisonnement, bien que ni drogue ni argent n’aient été découverts en perquisition.

A sa sortie, l’ex-champion de France de boxe thaïe veut reprendre la main. Mais la tentative tourne court. Ahmed Doumbia est lardé de coups de couteau dans un square de Saint-Denis, le 30 août 2015. “Il a voulu racketter les vendeurs à la sauvette autour de la gare et les faire travailler pour son compte. Ils ont réagi”, estime David Le Bars. Le blessé s’en tire. Et refait parler de lui. Il est interpellé en possession d’un sachet de crack qui disparaît mystérieusement avant d’être placé sous scellé. Victime d’un traumatisme crânien lors d’une arrestation musclée, il dépose une plainte auprès de la “police des polices”: elle est classée sans suite.

Intimidation envers les policiers

Avec les policiers, les relations sont tendues. C’est qu’Ahmed a l’invective facile. “Je vais te démonter à coups de poing, quitte à retourner en prison”, promet-il à un fonctionnaire. Envers un autre, l’intimidation se fait plus précise: “J’en ai rien à foutre si je dois faire dix à quinze ans, mais je vais te retrouver. Un jour, y aura des mecs qui vont te tomber dessus et tu te relèveras pas.” “Je sais où habitent ta femme et tes enfants.” Parfois, il passe à l’acte. Un jour de marché, il reconnaît une jeune gardienne de la paix qui fait ses courses et lui assène deux méchants coups de poing. Résultat, quinze jours d’incapacité totale de travail.

La crainte qu’inspire Ahmed lui vaut parfois d’étranges égards. Au commissariat de Saint-Denis, lors d’une garde à vue, on “oublie” de le mettre en cellule ou de lui passer les menottes. Lorsqu’il recouvre la liberté, un fonctionnaire pousse sa voiture pour l’aider à redémarrer. Le policier complaisant, interrogé par le commissaire sur son comportement, invoque le souci de “ne pas avoir d’ennuis”.

Une procédure est pourtant lancée, conséquence des insultes et des menaces de mort. Au début de cette année, Ahmed est lourdement condamné par la cour d’appel de Paris: cinq ans d’emprisonnement -un arrêt qui fait l’objet d’un pourvoi en cassation. Dans son entourage, on a le sentiment qu’il “paie d’abord pour son nom”. Comme tous les Doumbia.

Kassoum, le cador de la fratrie

Lorsque Kassoum arrive dans un établissement pénitentiaire, on lui fait aussitôt comprendre qu’on souhaite le voir partir au plus vite. Pourtant, la plupart du temps, chacun semble “travailler” de son côté. Une seule affaire a rassemblé trois d’entre eux, celle de l’enlèvement, accompagné d’actes de torture, d’un agent de change parisien, en janvier 2009. Elle s’est soldée par une peine de quinze ans d’emprisonnement pour Kassoum et de trois ans pour ses frères Ismaïl et Kader, mis hors de cause pour les faits criminels du dossier.

Kassoum, c’est le cador de la fratrie. Le “client” régulier des unités d’élite de la police judiciaire parisienne jusqu’à sa dernière incarcération, en 2007. Le récidiviste à la quinzaine de condamnations, dont quatre pour trafic de stupéfiants. Le tombeur qui, en prison, a séduit deux surveillantes. Le “substitut de figure du père qui dit la loi, impose sa propre loi”, selon un expert psychiatre. Et protège ses frères, toujours.

En avril 1999, Adams, 18 ans, et Mohamed, 22 ans, tabassent et poignardent à mort un jeune de la cité des Cosmonautes, à Saint-Denis, qui entrave leur trafic de drogue. Aussitôt, Kassoum organise la cavale de ses cadets en Côte d’Ivoire.

Responsable de la sécurité de deux boîtes de nuit parisiennes dont il aurait été, en fait, le propriétaire, le quadragénaire ne recule devant rien. Et pas devant la subornation de témoin. En décembre 2009, depuis sa cellule, il souffle des réponses, via un téléphone portable, à l’une de ses maîtresses qui se trouve, elle, dans le bureau du juge d’instruction, coiffée d’une perruque dissimulant une oreillette.

Derrière les barreaux, la terreur continue

Les Doumbia ne se sont pas assagis derrière les barreaux. Au contraire: “Ils multiplient les incidents”, pointe un responsable pénitentiaire. En décembre 2016, Kader, avec un comparse, passe à tabac un prisonnier de 100 kilos dans la cour de promenade de la maison d’arrêt de Bois-d’Arcy (Yvelines). Bilan: multiples fractures du crâne et estomac éclaté.

Mohamed, lui, sème la terreur dans tous les établissements où il est incarcéré. “Nous devons protéger ses codétenus, car il est hyperviolent et menaçant”, regrette un directeur de prison. Il y a pourtant un point sur lequel la police s’est jusqu’alors cassé les dents: l’argent. Réputés prospères, les Doumbia n’exhibent aucun signe extérieur de richesse. La mère réside dans une petite maison à Saint-Denis, dont elle est propriétaire. Aucun de ses fils ne mène grand train. Mais ils paient leurs avocats, parfois des pointures du barreau, rubis sur l’ongle.

La rumeur locale évoque des investissements à Dubaï. S’ils existent, ils ne sont pas mentionnés sur les écoutes téléphoniques ayant visé la fratrie. Ni les policiers spécialisés ni les douaniers n’en ont trouvé la trace. De quoi alimenter un peu plus la question qui taraude un responsable policier: que va-t-il se passer lorsque les frères Doumbia sortiront de prison?

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Source: L’Express.fr

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