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La France veut s’inspirer d’une loi allemande controversée pour combattre la haine en ligne

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Alors que le président Emmanuel Macron a reçu le patron de Facebook pour discuter de la lutte contre la haine en ligne, le parti présidentiel a déposé une nouvelle loi inspirée de l’exemple allemand… qui s’est pourtant soldé par un échec.

Emmanuel Macron et Mark Zuckerberg contre la haine en ligne. Le président français reçoit le patron de Facebook à l’Élysée, vendredi 10 mai, afin d’évoquer l’opportunité de mieux réguler les géants du Web et plus particulièrement empêcher la propagation des discours extrémistes.

Mark Zuckerberg s’est apparemment converti aux vertus de l’État régulateur. “Les gouvernements doivent assumer un rôle plus actif pour mettre à jour les règles, afin de préserver le meilleur d’Internet – la liberté de s’exprimer et la possibilité pour les entrepreneurs d’innover – tout en protégeant la société contre certains maux, comme les discours haineux”, avait-il écrit dans une tribune publiée dans le Washington Post le 30 mars.

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Une opinion peu éloignée de celle du président français, qui milite pour davantage de régulation aussi bien au niveau national qu’européen. Emmanuel Macron accueille même le PDG de Facebook avec une nouvelle proposition de loi contre la haine en ligne. Déposé le 20 mars par la députée du parti La république en marche (LREM) Laetitia Avia, le texte vise à obliger les grandes plateformes comme Facebook ou Twitter à retirer sous 24 heures des contenus “manifestement” haineux signalés par les utilisateurs. À défaut, le site récalcitrant pourrait être condamné par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) à payer une amende pouvant atteindre 4 % de son chiffre d’affaires annuel mondial.

Une disposition importée, presque mot pour mot, d’Allemagne. Comme en France, le gouvernement allemand estimait que les gardes-fous mis en place par les géants du Web n’étaient pas suffisants pour empêcher les discours haineux de polluer les réseaux sociaux. Depuis le 1er janvier 2018, la loi NetzDG (pour une meilleure application de la loi sur les réseaux sociaux) impose une mesure similaire aux plateformes comptant au moins deux millions d’utilisateurs.

Ce texte avait été critiqué de toutes parts lors de son introduction. Les grands groupes américains jugeaient cette loi trop compliquée à mettre en œuvre, tandis que les défenseurs de la liberté d’expression craignaient les dérives. “Le risque était que les responsables de ces plateformes, paniqués à l’idée d’avoir à payer de lourdes amendes, retirent tous les contenus signalés même s’ils ne sont pas clairement illicites”, explique Martin Schirmbacher, avocat spécialisé dans les nouvelles technologies, dans un billet de blog sur la portée juridique de la loi NetzDG. Un débat qui fait écho aux arguments avancés en France, et détaillé par le site NextInpact, pour critiquer la proposition de loi de Laetitia Avia.

Plus d’un an plus tard, l’Allemagne a dressé un premier bilan sévère de la loi NetzDG… n’en déplaise au gouvernement français qui veut s’en inspirer. Facebook, Twitter ou encore YouTube n’ont “presque retiré aucun contenu en application de ce texte”, résume le magazine Spiegel. Les chiffres publiés par les différentes plateformes démontrent que ce texte “a généré beaucoup de vent médiatique mais peu de résultats concrets”, affirme à France 24 William Echikson, chercheur au CEPS (Centre d’études des politiques européennes de Bruxelles) et auteur d’un bilan de la loi NetzDG, publié en novembre 2018.

Beaucoup de vent pour pas grand-chose en Allemagne

Les trois géants du Web n’ont eu aucun mal à tenir le délai de 24 heures pour traiter les demandes, mais “elles ont été rejetées dans 80 % des cas en moyenne”, note William Echikson. Twitter n’a retiré qu’un peu plus de 10 % des contenus haineux qui lui ont été signalés, tandis que Facebook et YouTube font un peu mieux (27 % et 21 % des demandes de retrait). En six mois, ces sites ont, en tout, fait disparaître 34 304 vidéos, images ou messages haineux et illicites au titre de la loi NetzDG, souligne l’étude du CEPS. C’est une goutte d’eau par rapport aux centaines de milliers de contenus qui sont censurés grâce aux mécanismes déjà mis en place par ces plateformes (comme la détection automatisée d’images violentes de l’intelligence artificielle de Facebook).

La bonne nouvelle de ce maigre butin est que cette loi “n’a visiblement pas non plus poussé les géants du Web à exercer une censure excessive, comme le craignait les défenseurs de la liberté d’expression”, souligne William Echikson.

Ce premier constat d’échec démontre “à quel point il est difficile, voire illusoire, pour un législateur d’avoir une influence sur la propagation de contenus haineux en ligne”, déplore l’expert du CEPS. Surtout qu’en Allemagne, l’État n’a pas du tout assuré le service après-vente de son texte. “Après avoir adopté la loi, le gouvernement n’a jamais trainé aucun de ces sites en justice pour contester certaines de leurs décisions de retrait ou non-retrait”, explique-t-il. En d’autres termes, avec cette loi, la force publique a délégué à des entreprises privées l’autorité de décider si un contenu pouvait être considéré comme “clairement” haineux. “Laisser ainsi décider des entreprises privées, dont les responsables n’ont pas le bagage juridique nécessaire pour savoir ce qui est illégal, n’est pas un bon signe pour la démocratie”, conclut l’avocat Martin Schirmbacher.

Le gouvernement allemand refuse de reconnaître que cette loi est un échec et demande de lui laisser encore du temps pour faire ses preuves. Berlin a promis de faire un premier bilan… en 2021. Peut-être que Laetitia Avia devrait attendre cette échéance pour savoir si, cette fois-ci, il faut vraiment s’inspirer du modèle allemand.

F24