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Choguel Kokalla Maïga : « Il faut ramener la Transition sur le droit chemin »

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Choguel Kokalla Maïga, le président du Mouvement patriotique pour le renouveau (MPR), président par intérim du Front pour la sauvegarde de la démocratie (FSD), présidé par Soumaila Cissé et, enfin le président du comité stratégique du Mouvement du 5 Juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP) nous a accordé un entretien sur le démarrage de la transition en cours au Mali.

Comment comptez-vous influencer la transition sachant bien que vous n’êtes plus représentés, officiellement, dans aucune structure de cette période transitoire ?

Choguel Kokalla Maïga : La transition, nous l’avons dit et nous continuons à le dire, c’est l’enfant du M5-RFP. Votre enfant, ce n’est pas parce qu’il se comporte d’une manière qui n’est pas satisfaisante que l’abandonniez. Notre combat, c’est d’amener la transition sur la voie du véritable changement. Sur la voie pour laquelle les Maliens se sont battus et d’autres y ont laissé leur vie. Malheureusement, ce que nous constatons est que les officiers, qui ont parachevé le travail du M5-RFP, comme ils l’ont dit eux-mêmes, au lieu d’une transition politique civile qu’ils ont annoncée, le 18 août dernier, au soir de la démission du président de la République, sont en train d’installer une transition militaire. Vous avez, aujourd’hui, deux militaires à la tête de l’Exécutif, les postes clés du gouvernement sont détenus par les militaires. Les 80% des autres postes sont détenus par les parents, les amis, cousins, les tontons, les copains des militaires. Donc, des gens qui sont désignés sans aucun critère objectif. Ce qui fait qu’aujourd’hui l’institution exécutive est prise en otage par les militaires.

Même le Premier ministre, qui est civil, c’est eux qui l’ont nommé. Sur la nomination du président de la transition, qui est un homme respecté au Mali, ils n’ont eu aucun problème avec le M5-RFP. Mais, ils l’ont nommé dans des conditions assez troubles. Ce qui le fragilise inutilement. Donc, le président de la transition, l’essentiel du gouvernement et, aujourd’hui, nous constatons que tous les membres du Conseil national de la transition (CNT) ont été nommés par les militaires. Ce qui est un paradoxe, du point de vue de l’organisation de l’Etat. Le CNT a vocation à remplacer l’Assemblée nationale. Son rôle principal, c’est de voter les lois et contrôler l’action du gouvernement. Comment un gouvernement peut nommer des gens qui vont siéger dans une institution dont le rôle est de contrôler son travail ? Nous n’avons jamais vu ça ! Le principe élémentaire de la séparation des pouvoirs voudrait que les membres du CNT soient choisis autrement. Et non pas par les membres du gouvernement qui se réunissent pour choisir ceux qu’ils veulent.

Il y a, aussi, la Charte de la transition dont nous avons contesté, en son temps, le mode d’adoption et qui a eu six versions. La version que nous avons discutée avec les militaires à Kati a été falsifiée pour être suggérée aux concertations nationales. Celle qui est sortie des concertations nationales a été falsifiée pour être présentée à la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Celle, qui a été présentée pour la prestation des serments du président et du vice-président, a été falsifiée pour sortir une autre version publiée au Journal officiel. La version publiée au Journal officiel indique clairement que le CNT est formé à partir d’entités limitativement déterminées dans un décret. Aujourd’hui, nous constatons que tous ceux qui siègent au Conseil national de la transition, dans leur écrasante majorité, n’ont été désignés par aucune entité. Cela veut dire que c’est les militaires qui les ont appelés pour les nommer. Ils ont choisi, eux-mêmes, les gens qui vont siéger dans une Assemblée dont le rôle est de contrôler leur travail. Ça frise le ridicule. C’est vraiment une humiliation pour notre pays que de présenter une telle caricature.

C’est pour cela que nous avons dit que le décret qui institue les membres du CNT est un décret pris sur une base illégale et illégitime. Je ne conteste pas la qualité de certaines personnalités qui ont une notoriété (des artistes, des hommes des arts) et, même, certains membres du M5-RFP) qui ont décidé, à titre individuel, de se confier aux militaires pour se retrouver dans le CNT. Mais, pour le reste, ce sont des gens qui ont été choisis sur des bases illégales. Donc, le CNT s’est installé dans l’illégalité, dans l’illégitimité. Imaginez que ce soit cette institution qui va voter des lois de la République. Cela veut dire que les lois qui seront votées n’auront aucune base légale, ni légitime. On n’a pas besoin d’être un agrégé de droit pour le savoir. C’est pour cela que le M5-RFP a envisagé d’attaquer ce décret devant les juridictions compétentes.

Où en êtes-vous avec cette procédure d’attaquer juridiquement le décret de nomination des membres du CNT ? 

Choguel Kokalla Maïga : Nous allons réunir nos avocats pour prendre conseil auprès d’eux. Nous allons examiner, aussi, la dimension politique avant de trancher juridiquement. Aujourd’hui, nous allons finaliser un document intitulé : « Notre vision de la transition » qui sera rendu public dans les jours à venir. Dans ce document, parmi les mesures pour imposer une inflexion de la trajectoire de la transition, il y a les aspects de droit, les aspects politiques, les aspects de mobilisation populaire, les aspects de campagnes politiques, à travers tout le Mali. Parce que nous ne pouvons pas accepter de nous battre contre un régime, contre des pratiques en y laissant la vie de beaucoup de jeunes et que ce combat soit confisqué par un groupe de militaires, fussent-ils ceux qui ont parachevé le travail du peuple, sans concertation avec le peuple. Tous les problèmes que ces militaires ont, aujourd’hui, toutes les difficultés d’ordre institutionnel, politique, auraient pu trouver une solution dans une collaboration loyale et juste entre les forces du changement, dans des décisions entre partenaires, pour mettre en œuvre ce pourquoi les Maliens se sont battus.

Malheureusement, nous avons constaté que nous n’avons pas la même conception du changement. Je crois que c’est beaucoup plus la lutte pour les places qui intéresse les militaires. Ceux qui étaient à la recherche de place les ont rejoints. Nous allons continuer à peser de tout notre poids pour les amener dans le droit chemin. Parce que lorsque les institutions sont installées de cette façon, qu’est-ce qui nous garantit que ce gouvernement peut organiser des élections transparentes ? Ils peuvent faire le même type de hold-up lors des élections pour nous installer à la tête de l’Etat, par les mêmes méthodes, quelqu’un qui a participé à la destruction de notre pays. L’étincelle qui a mis le feu aux poudres est partie des dernières élections législatives.

On ne peut pas imaginer que des institutions installées de cette façon soient capables d’organiser des élections transparentes. Nous allons continuer à nous battre, à exiger que ceux qui ont été responsables des tueries des 11 et 12 juillet 2020 à Bamako, Kayes et Sikasso soient traduits devant les tribunaux. Il faut, nécessairement, que les grands dossiers de corruption, qui ont désorganisé notre Armée et qui l’ont privée des moyens de se battre, soient mis sur la table et les responsables traduits en justice. Il faut, nécessairement, que les réformes institutionnelles et politiques, qui vont nous mettre à l’abri des falsifications des résultats des élections, soient prises et votées par une Assemblée légitime, après avoir été travaillées en amont par toutes les forces politiques et sociales du Mali. Il faut que l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger fasse l’objet d’une relecture. Parce que cet accord est inapplicable en l’état. Aujourd’hui, 85% du territoire échappe au contrôle de l’Etat, les bombes continuent d’être posées, l’insécurité se généralise jusqu’à Bamako.

Actuellement, tout ce que qui est en train de se faire aboutira à la partition du Mali, dans quelques années, parce qu’à des moments de l’histoire, il y a eu des hommes qui ne sont pas suffisamment patriotes, ni compétents et encore moins avec une conscience historique. Lorsqu’ils quitteront le pouvoir le problème va continuer à pourrir. Vous avez vu le découpage administratif qu’ils ont voulu imposer au peuple malien en 2018-2019 constituaient les germes de l’implosion du Mali. Les réformes sont faites par un Etat fort, un Etat organisé qui délègue délibérément une partie de ses prérogatives aux communautés locales. Donc, il faut renforcer l’Etat. Il faut donner à l’Etat la capacité de s’imposer au besoin. Il faut, ensuite, une bonne gouvernance. Au moment où la corruption a gangréné toutes les institutions y compris l’institution militaire, ce n’est pas en ce moment que vous allez décentraliser à outrance. Vous allez décentraliser la corruption, la désorganisation du pays. C’est pour cela que l’Etat malien a besoin d’une reprise en main. C’est ce que nous avons appelé la refondation de l’Etat malien.

Le changement doit conduire à la refondation, une reprise en main de l’ensemble des institutions, des processus négociés de l’ensemble des outils de souveraineté et s’arrêter, réfléchir, repartir sur de nouvelles bases, après avoir créé un consensus national. Toutes les réformes sont nécessaires avec toutes les forces vives de la Nation. C’est le chemin que nous avons voulu emprunter. Malheureusement ce chemin est dévié aujourd’hui parce que des apprentis sorciers se sont retrouvés autour des militaires pour les tromper.

Concrètement, que reste-t-il de votre mouvement unitaire qui a provoqué la chute du régime d’Ibrahim Boubacar Keita ?

Choguel Kokalla Maïga : Vous savez, lorsqu’on lance les mouvements politiques, les gens viennent, chacun avec ses ambitions, ses projets. Nous en étions arrivés à la conclusion, un moment donné, que la gouvernance chaotique de l’ancien président Ibrahim Boubacar Kéita allait conduire, pendant les trois prochaines années, à la disparition du Mali. Nous avons donc dit qu’il faut qu’il démissionne et son régime aussi. Ce mot d’ordre a mobilisé beaucoup de Maliens. Nous nous sommes rendus compte, après le changement de régime, qu’on n’avait pas la même conception de ce pourquoi on cherchait le changement. Il ne s’agit pas d’enlever IBK pour mettre d’autres hommes à la place et continuer les mêmes pratiques. La preuve, au mois de juin, nous lui avons proposé le mémorandum qui le maintenait comme président de la République mais dépouillé des outils avec lesquels lui et son entourage étaient en train de détruire le Mali. Parce que le pays était pris en otage par une oligarchie ploutocratique qui ne respecte aucune loi, qui n’a aucune considération pour les principes. On a voulu mettre fin à cela.

Une fois qu’il (l’ancien président) est parti, on s’est rendu compte qu’il y a certains, parmi nous, qui, en réalité, criaient le changement mais n’y croyaient pas. Parce que, dès que IBK est parti, ils se sont mis avec d’autres pour continuer les mêmes pratiques.

Aujourd’hui, la nomination des institutions de la République, le président, le gouvernement, le président du CNT est le fait d’une oligarchie qui ne respecte aucune loi, aucune règle.

Donc, certains sont partis. Moi, je respecte leur choix. Je ne les condamne pas. La partie saine du M5-RFP est restée soudée et elle a élaboré un document qu’on appelle « La vision du M5-RFP pour la transition ». Nous allons rendre publique cette vision dans les jours et les semaines à venir. A partir de là, nous allons vers de nouvelles actions, de campagnes politiques, de campagnes de mobilisation, de campagnes d’explication pour amener les militaires à changer la trajectoire de la transition.

Certains sont en train de dire que nous sommes contre les militaires, le M5-RFP n’est ni contre le Comité national pour le salut du peuple (CNSP), ni contre le gouvernement. Mais le M5-RFP ne peut pas accepter que le sens de sa lutte, de son combat, le sacrifice consenti par les Maliens, y compris le sacrifice ultime, soit ramené à une distribution de postes entre des personnes, à la perpétuation et la continuation de l’ancien système. Que toute cette lutte soit ramenée à la remise des leviers du pouvoir à certains compartiments de l’Etat ou dans les mains de ceux qui se sont opposés, ouvertement, au changement.

Le M5-RFP ne peut pas accepter cela. Le noyau politique conscient va continuer son combat jusqu’à ce que la transition reprenne la voie du salut pour les Maliens. Voilà notre rôle, notre vision.

On nous dit qu’on veut renverser la transition, que nous sommes contre les militaires, tout cela est de la propagande. Notre objectif est notre enfant, la transition, qui n’a pas pris la bonne voie. Qui a pris la voie de l’ancien régime, la continuité du système de l’ancien régime.

Ceux qui sont partis sont du mauvais côté de l’histoire. C’est ce que je veux leur dire.

S’il y en a, selon vous, quels sont les acquis du renversement du régime d’Ibrahim Boubacar Kéita ?

Choguel Kokalla Maïga : Aujourd’hui, on ne voit pas grande chose. Le seul changement que je vois, c’est qu’on a un président de la transition qui, pour l’instant, a la confiance de la majorité des Maliens. C’est le seul dont la légitimité n’est pas remise en cause. Simplement parce que les Maliens sont convaincus que c’est un homme d’honneur, de principe. Il n’y a pas de polémique autour de sa personne. A part ça, il n’y a aucune autre institution qui n’est pas contestée et rejetée par l’opinion. Il faut un infléchissement dans la conduite de la transition.

OD/MD

Source : (AMAP)

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